Tendances du droit des ententes en 2007-08




Sur le cas des prix de revente imposés


I. UNE JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE CONCENTRÉE SUR LA SANCTION DE L' ENTENTE


1. Le contentieux communautaire face à l'augmentation vertigineuse des amendes 

Remémorons nous quelques chiffres… 3.333.802.700 € représente le montant total des amendes infligées l’an dernier par la Commission européenne. L’année 2007 fut témoin de records en terme de montants les plus élevés jamais infligés : une amende de 396.562.500 € fut prononcée à titre de sanction dans l’affaire GAS INSULATED et la Commission n’a pas hésité à sanctionner une entente illégale à hauteur d’un  montant encore inégalé de 992.312.200 € dans sa décision ELEVATORS ESCALATORS du 21 février 2007.

Face à la montée en puissance de la politique de sanction de la Commission en matière d’ententes anticoncurrentielles, un procès de la deuxième chance s’imposait devant le Tribunal de Première Instance de la Communauté Européenne (TPICE) qui dispose du pouvoir de réformer les pénalités imposées par la Commission.

De façon générale, le TPICE refuse de reprendre l’examen réalisé par la Commission et concentre son contrôle sur la juste évaluation de la durée et de la gravité de l’infraction.
La Cour de Justice des Communautés, juge ultime, s’est vu saisie au cours de l’année 2007 d’un nombre croissant de recours qui l’ont amené à se prononcer sur des points éminemment techniques sur le mode de fixation de l’amende tels que l’arrêt BRITANIA sur l’exercice social à prendre en compte pour le calcul de l’amende ou l’arrêt DALMINE sur la prise en compte optionnelle ou obligatoire de la taille de l’entreprise dans le calcul de l’amende.



2. Sur les principales évolutions de la jurisprudence.


Observons tout d’abord, que la disparition du mécanisme de notification a dessaisi de facto la Commission d’importantes questions de droit matériel. Sous l’impulsion de la Commission, c’est un droit spécial de la sanction qui voit le jour au travers de la jurisprudence communautaire.

Par l’adoption de principes juridiques durs, les instances européennes semblent déterminées à optimiser l’effet dissuasif des amendes infligées à l’image des jugements rendus cette année par le TPICE dans les affaires BOLLORE et AKZO. Dans ces deux derniers cas, le Juge communautaire accepte d’engager par simple « présomption capitalistique » la responsabilité des entreprises-mères pour les actions anti-concurrentielles de leurs filiales.

L’action de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) s’inscrit dans une perspective identique. Dans l’arrêt DANONE rendu le 8 février 2007, le groupe Danone contestait l’augmentation, pour récidive, du montant de l’amende, au motif que l’absence de tout délai maximal pour le « constat de récidive » violait le principe de sécurité juridique.
La cour a écarté cette objection en estimant que l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive fait partie intégrante du pouvoir de la Commission et ne saurait être liée par un délai de prescription.

En réalité, l’étage communautaire du contrôle des ententes semble déterminé à mettre en œuvre une « politique de  dissuasion effective » qui repose sur le principe suivant : la sanction en cas de détection d’un cartel doit annihiler les profits tirés de l’activité anti-concurrentielle.

Les autorités communautaires peinent à atteindre un tel objectif. Par crainte des conséquences nocives de l’application trop stricte d’une telle politique, la mise en œuvre d’une action de dissuasion optimale ne semble, en pratique, ni réellement possible, ni véritablement souhaitable.

L’exemple des Etats-Unis est éclairant et suscite des craintes légitimes au regard du montant des sanctions infligées qui placent près de 60 % des entreprises sanctionnées dans l’impossibilité de payer l’amende optimale sans tomber en faillite.

Pourtant, certains analystes estiment que les amendes moyennes infligées dans le cadre européen restent largement en deçà du montant optimal de l’amende dissuasive. Selon ces même experts, la sanction prononcée dans l’affaire ELECTRODES AU GRAPHITE sous forme d’amende fixée à hauteur de 267 millions d’euros  aurait dû être multipliée 7 à 10 fois pour devenir réellement dissuasive.

Ajoutons que la publication par la Commission, en 2006, de Lignes directrices destinées à assurer un surcroît de prédictibilité du montant des sanctions encourues pourrait aboutir à l’inverse de l’effet dissuasif initialement recherché. Désormais, en mesure de calculer avec davantage de précisions le coûts des pénalités financières qu’elles encourent, les entreprises pourraient privilégier la constitution d’un cartel dans des cas où l’imprévisibilité de l’importance de la sanction les auraient conduites, par le passé, à y renoncer.



II. LE JUGE NATIONAL, ANALYSTE DES EFFETS DE L'ENTENTE


Contrairement à l’échelon communautaire qui au cours de l’année 2007 s’est focalisé sur la détermination de la sanction, l’échelon national a davantage traité des questions de fond relatives aux critères d’évaluation de l’entente.


1. Le cas des échanges d'information en oligopole.


L’affaire  dite des OPERATEURS DE TELEPHONIE MOBILE reflète l’évolution des critères d’analyse retenus par les juridictions nationales.

Décembre 2005 : le Conseil de la concurrence sanctionne trois opérateurs de téléphonie aux motifs qu’ils auraient échangé un certain nombre d’informations mensuelles sur l’état de leurs ventes (nombres d’abonnements souscrits et résiliations).  La décision du Conseil se fonde sur une analyse économique complète des conditions de l’entente reprochée.

Saisie de l’affaire, l’année suivante, la Cour d’appel de Paris établit l’atteinte à la concurrence par la simple connaissance des opérateurs de leurs positions respectives sur le marché leur permettant de se concerter sur la stratégie commerciale à adopter.
La Cour fonde sa décision sur la prise en compte d’un mince faisceau d’indices tels que la forte concentration du marché autour de trois opérateurs et la fermeture du marché en raison de l’existence  d’importantes barrières à l’entrée.

Ce faisant, elle rejoint les motivations de la jurisprudence communautaire,  notamment dans les attendus de l’arrêt JOHN DEERE ( CJCE - 28 mai 1998) qui retenait que la simple conclusion d’un accord d’échange d’information récentes et précises suffisait à altérer la concurrence (standard d’appréciation formaliste).

Or, dans un arrêt de principe rendu le 29 juin 2007, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation dénonce l’analyse simpliste de la Cour d’appel lui reprochant de ne pas avoir poussé suffisamment loin son analyse du marché.Dans leur décision les juges de cassation estiment que « les juges du fond n’ont pas recherché de façon concrète » si « l’échange d’informations avait eu pour objet ou pour effet réel ou potentiel, (…) de permettre de s’adapter au comportement prévisible de ses concurrents ».

Face à ces divergences d’analyse, la jurisprudence française se retrouve, aujourd’hui,  dans un état d’incertitude dommageable pour l’ensemble des opérateurs susceptibles d’être  sanctionnés. Les standards issus de la jurisprudence française en matière d’entente  restent à déterminer.



2. Sur le cas des prix de revente imposés


Le Conseil applique en parfaite adéquation avec les standards de droit communautaire, une interdiction stricte per se du prix de revente imposé. Les éventuels gains d’efficacité et justifications objectives ne peuvent être invoqués qu’au stade de la sanction.Mais peut-on considérer comme une entente illicite la simple communication de prix conseillés ? Dans un avis du 17 novembre 1999, le Conseil de la concurrence répondait par la négative en affirmant que « la pratique d’un prix conseillé, indicatif ou maximal reste en principe licite… »Un certain nombre d’opérateurs ont tenté de contourner l’interdiction de prix de revente imposés et justifié le bien fondé de leur politique de prix en tentant de démontrer que les «prix conseillées » constituaient de simples « invitations unilatérales ».
La Cour d’appel de Paris n’hésite pas à sanctionner de tels comportements. Dans l’arrêt GUERLAIN GIVENCHY en date du 26 juin 2007, la Cour a sanctionné ces pratiques dans le cadre d’une série d’ententes verticales, visant à imposer des prix de revente sous la forme de prix conseillés.
La Cour d’appel se fonde notamment sur la jurisprudence communautaire BAYER AG (CJCE - 6 janvier 2004) qui estime que « d’une part, l’existence d’une invitation à l’accord émanant d’une des entreprises en cause et d’autre part, l’acquiescement, même tacite, des autres parties à cette invitation » suffit à démontrer l’entente.

En l’espèce, l’existence de « contrôle », de « police des prix», de « menace » sur les distributeurs n’était pas contestable et la Commission avait constaté « l’application significative des prix imposés ». L’arrêt se conformait au standard posé par la Décision BAYER : l’entente sur les prix devait être sanctionnée.

Autre exemple…dans l’arrêt SELECTION DISC ORGANISATION (CA Paris, 29 mai 2007), un éditeur de vidéocassettes préenregistrées des studios Walt Disney avait garanti le versement de ristournes à deux grands distributeurs en contrepartie de l’observation par ces derniers de prix de revente conseillés.

Les parties invoquaient l’absence d’un concours de volontés, élément caractéristique et nécessaire à la démonstration de l’entente. La Cour a sanctionné l’accord en se fondant non seulement sur des indices d’alignement des prix mais aussi sur le fait que les distributeurs avaient pris des mesures de surveillance du fonctionnement de l’entente et suggéré des mesures de rétorsion.

De son côté, la Commission a également prononcé au cours de l’année 2007, d’importantes sanctions suite à  un certain nombre de décisions sanctionnant la mise en œuvre d’ententes illégales sur les prix.

Citons, à titre d’exemple, la décision LEGO–CARREFOUR rendue le 20 décembre 2007 qui sanctionne une entente entre des fournisseurs de jouet et leurs distributeurs sur le prix de vente des jouets de Noël. Dans cette décision, le Conseil de la Concurrence a constaté l’existence d’actions de police des prix et de contrôle pour vérifier que les jouets soient tous vendus, au même prix, dans les divers points de vente.

Une autre décision SONY PLAYSTATION, rendue le 20 décembre 2007 par le Conseil de la concurrence, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des consoles de jeux et de jeux vidéo sanctionne lourdement  une entente de prix.

Lors du lancement de sa Playstation, SONY avait conditionné l’engagement de ses distributeurs au respect d’une obligation de ne pas communiquer publiquement des prix de vente au détail différents d’un prix maximum fixé. La signature d’une clause destinée à assurer cet engagement a suffit pour sanctionner la pratique illicite, L’existence de cette seule clause constituait aux yeux du Conseil la preuve d’une entente sur les prix.

En pratique, les ententes verticales de prix vers les marchés de détail qui ne bénéficient pas d’une analyse approfondie persistent à faire l’objet d’un traitement essentiellement « formaliste ».

Un vent de contestation commence à souffler sur ce type d’analyse d’une rigueur extrême. Une politique s’éloignant de l’interdiction per se de toute restriction de la capacité du distributeur à déterminer son prix de vente serait-elle judicieuse ?

Un nouveau courant doctrinal semble le penser suite à la publication de l’arrêt LEEGIN rendu par la Cour Suprême des Etats-Unis le 28 juin 2007 qui abolit la prohibition des ententes verticales de fixation de prix minimum au détail. L’objectif déclaré de cette nouvelle jurisprudence : tenter d’éliminer les pratiques commerciales par lesquelles les manufacturiers s’efforcent de contrôler les prix de leurs détaillants pour substituer à ces pratiques des contrats fixant clairement des prix minimums.

En tout état de cause, aucune évolution substantielle n’est à envisager au niveau communautaire avant la révision prévue en mai 2010 du règlement relatif aux accords verticaux et autres pratiques concertées.


Gilles MENGUY
Solicitor of England & Wales
Gast & Associés


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