La liberté d'expression justifie-t-elle la révélation de secrets concernant la franc-maçonnerie ?





L’hebdomadaire l’Express, dans son numéro du 7 juin 2001, a publié, au sein d’un dossier intitulé « Lille. Les réseaux qui comptent », un article titré « Francs-maçons, le ménage s’impose ». Cet article contient des informations concernant la mise en examen pour faux en écriture publique, favoritisme et prise illégale d’intérêt du maire de Ronchin, Michel Laignel. Mais ce qui est reproché au journal c’est de révéler l’appartenance de l’intéressé et de huit membres nominativement désignés du conseil municipal à la franc-maçonnerie.

Dans cette affaire, il s’agit pour le juge de trouver la frontière entre la protection de la vie privée et le droit du public à l’information. L’Histoire nous apprend que la Franc-maçonnerie est étroitement liée au secret, ce qui est de moins en moins compatible avec la société contemporaine. Aujourd’hui l’appartenance à une loge maçonnique relève de la vie privée « attendu que les convictions philosophiques, éthiques ou religieuses appartiennent à la sphère de l’intimité protégée, dans la mesure où la personne n’en a pas fait état publiquement» (CA Paris, 10 juin 2004).
Le respect de la vie privée trouve sa limite dès lors que la révélation est justifiée par l’information du public sur un débat d’intérêt général. Le principe de la liberté de la presse impliquant le libre choix des illustrations d’un débat général de phénomène de société trouve sa limite, quant à lui, dans le respect de la dignité de la personne humaine (Cass 2e Civ, 4 novembre 2004).

En l’espèce, la Cour d’appel a considéré que « l’appartenance à la Franc-maçonnerie relève de la vie privée et que l’article n’apporte aucune révélation sur le lien entre l’activité des plaignants et leur affiliation divulguée, et que la mention litigieuse avait donc été purement gratuite, sans nécessité au regard ni de la teneur générale des développements, ni de la mise en examen intervenue, ni du devoir d’informer le public ».

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel au motif que « le contexte général de la publication était la mise au jour, légitime dans une société démocratique, de réseaux d’influence, et que l’appartenance à la franc-maçonnerie suppose un engagement, de sorte que la révélation litigieuse, qui s’inscrivait dans le contexte d’une actualité judiciaire, était justifiée par l’information du public sur un débat d’intérêt général ».

La jurisprudence depuis quelques années se montre favorable à la liberté d’expression, notamment avec la montée en puissance du critère d’intérêt général. La Franc-maçonnerie pour éviter la stigmatisation et les scandales devrait faire des efforts de transparence pour s’adapter à la société d’aujourd’hui.

En Angleterre par exemple, Tony Blair a fait passer une loi il y a quelques années, obligeant le Franc-maçon à dévoiler sa loge pour toute postulation à un poste de fonctionnaire et notamment de magistrat.

La France sur ce sujet aussi devrait prendre exemple sur les Anglais. Notre justice n’en serait que plus performante.


Première Chambre Civile de la Cour de cassation,
24 octobre 2006 (aff : l’Express)
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