La distribution sélective et la franchise




A - La reconnaissance par la jurisprudence communautaire de la Iicéité des critères de sélection

Face à une société de consommation de masse qui engendre au mieux la banalisation de nombre de produits, au pire leur disparition ou leur non-apparition, le consommateur cherche de plus en plus à affirmer son droit à « la différenciation ».
À propos d'une étude réalisée sur le marché de l'optique en matière de distribution, l'agence « Ricochet Droit» notait: « Le consommateur d'aujourd'hui semble rechercher de plus en plus la qualité des produits et le professionnalisme des intervenants au juste prix ».
Selon l'Observateur Cetelem, 34 % de consommateurs sont prêts à payer plus cher pour davantage de qualité et de service: « Le consommateur y est prêt, mais pour avoir quelque chose en plus: davantage de Se/vices, des conseils, un cadre d'achat plus agréable... ».
Serait-ce ce désir que la Commission aurait aussi pris en considération dans sa consécration de systèmes de distribution qui, tous, à des degrés divers, introduisent, favorisent, préservent le droit du consommateur au choix des produits et des services qui peuvent accompagner leur commercialisation?
Plus prosaïquement, nous examinerons comment l'approche sélective mise en œuvre, dans l'intérêt du consommateur dans deux systèmes tels que la distribution sélective et la franchise, pourrait être influencée par le nouveau Règlement d'exemption 2790/1999 (1) applicable aux accords verticaux.


1. La sélection fondement du système de distribution des parfums et cosmétiques de luxe

Dans tout système de distribution sélective, les produits du fournisseur ne peuvent, par définition même, être revendus que par des distributeurs préalablement sélectionnés en raison de leur aptitude à les commercialiser de manière adéquate (2). L'ensemble des distributeurs sélectionnés (généralement appelés « distributeurs agréés ») constitue un réseau, en principe étanche: les distributeurs agréés et le fournisseur lui-même s'interdisent de vendre des produits contractuels à des revendeurs n'appartenant pas au réseau (appelés abusivement distributeurs « parallèles », lesquels sont en fait des distributeurs « hors réseau »).

La jurisprudence antérieure au Règlement 2790/1999 considère, en général, que les systèmes de distribution sélective constituent un élément de concurrence conforme à l'article 81, § 1 du Traité s'il est satisfait à trois conditions:
• la nature du produit justifie le recours à un système de distribution sélective: il constitue une exigence légitime au regard de la nature du produit en permettant tout à la fois d'en préserver la qualité et d'en assurer le bon usage;
• le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif fixés de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire;
• les critères définis ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire.

Il faut en outre que le système en cause vise à atteindre un résultat de nature à améliorer la concurrence et, donc, à contrebalancer la limitation de la concurrence inhérente aux systèmes de distribution sélective, notamment en matière de prix.
C'est ce régime essentiellement jurisprudentiel qui a gouverné les relations contractuelles dans la parfumerie-cosmétique de luxe que nous aborderons dans la Section 1 avant d'examiner en quoi le Règlement 2790/1999 vient ouvrir de nouveaux espaces de liberté pour les entreprises et à quelles conditions dans la Section II.



A - La reconnaissance par la jurisprudence communautaire de la Iicéité des critères de sélection
La distribution sélective qualitative qui consiste à agréer les revendeurs sur la base de critères objectifs justifiés par la nature du produit tels que la qualification professionnelle du personnel de vente, la qualité des installations, a été considéré comme ne relevant pas de l'article 81, § 1(1).
La distribution sélective dite quantitative, qu'il s'agisse d'opérer une limitation directe ou indirecte du nombre de revendeurs agréés, a toujours nécessité, pour être mise en œuvre, une exemption individuelle de la Commission CE en application de l'article 81, § 3 (2).


1) La sélection qualitative des distributeurs

a) Le principe de nécessité: la nature spécifique des produits.

Le droit communautaire de la concurrence admet qu'en raison de sa nature, un produit puisse être distribué de manière sélective dès lors que ce système permet de présenter au consommateur le produit qu'il recherche dans des conditions appropriées.

C'est dans une affaire BMW (3) que la Commission a développé pour la première fois ce raisonnement en justifiant le recours à la distribution sélective par la haute technicité des produits en cause.

Ont ensuite bénéficié de la même appréciation, en raison de leur grande complexité technique les articles d'horlogerie (4), le matériel informatique (5), le matériel électronique de divertissement (6).

La Cour de Justice souligne ainsi que « la vente, dans de bonnes conditions, d'articles d'horlogerie d'une grande complexité technique requiert que ces articles soient vendus dans des magasins spécialisés, par un personnel qualifié et dans des locaux permettant le stockage, la présentation et la démonstration dans des conditions convenables» (7).

Ou encore: « la complexité de la technologie en cause est actuellement telle qu'elle est de nature à Justifier un réseau de distribution disposant de grossistes et détaillants spécialisés» (8).

Pour les parfums et cosmétiques de luxe, c'est dans l'arrêt l'Oréal (9) que la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) est venue préciser que: « afin de déterminer l'exacte nature des critères de sélection "qualitatifs" des revendeurs, il est aussi nécessaire d'examiner si les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un système de distribution sélective... ».

Mais ce sont les décisions individuelles Yves Saint Laurent et Givenchy prises par la Commission respectivement le 16 décembre 1991 et 24 juillet 1992 et les arrêts «Galec » du Tribunal de première instance des Communautés européennes de Luxembourg (TPICE) rendus le 12 décembre 1996 qui forgent un véritable statut communautaire pour la distribution sélective des parfums et cosmétiques de luxe (10).

Dans ces affaires, à la suite de la Commission, le TPICE consacre la légitimité de la distribution sélective pour les parfums et cosmétiques de luxe.

Le TPICE précise l'acception de « nature du produit» et de « propriétés» des parfums et  cosmétiques de luxe esquissée par la CJCE dans l'arrêt l'Oréal.
• II constate, tout d'abord, que les parfums et cosmétiques de luxe sont des produits sophistiqués et de haute qualité, résultant d'une recherche particulière et utilisant des matériaux d'un haut niveau qualitatif, notamment pour leur conditionnement;
• il poursuit en précisant que ces produits sont dotés d'une « image de luxe» qui sert à les distinguer des autres produits semblables qui sont dépourvus d'une telle image;
• enfin, le TPICE ajoute que cette image de luxe est importante aux yeux des consommateurs qui apprécient la possibilité d'acheter des parfums et cosmétiques de luxe, le degré de substituabilité avec des produits similaires relevant d'autres segments du secteur étant faible.

Affinant encore son analyse, le TPICE estime que la notion de « propriétés» des cosmétiques de luxe ne peut être limitée à leurs caractéristiques matérielles mais englobe également la perception spécifique qu'en ont les consommateurs et plus particulièrement leur « aura de luxe ».
II en déduit qu'il s'agit donc de produits d'une haute qualité intrinsèque et possédant un caractère de luxe qui relève de leur nature même (11).

Le recours à la distribution sélective constitue-t-il pour autant une exigence légitime?

Le TPICE répond par l'affirmative, à raison de deux considérations principales :
• d'une part, l'intérêt du producteur à maintenir l'image de prestige de sa marque et à sauvegarder les fruits de ses efforts de promotion est une justification à elle seule insuffisante;
• d'autre part, le besoin de sauvegarder, dans la perception des consommateurs, « /'aura d'exclusivité et de prestige » des produits est un élément d'appréciation majeur. Il est dans l'intérêt des consommateurs recherchant des produits cosmétiques de luxe que ces produits soient présentés dans de bonnes conditions dans les points de vente.

Encore, les critères qualitatifs d'agrément doivent-ils être adaptés aux exigences de commercialisation des produits et poursuivre un résultat de nature à améliorer la concurrence, par la préservation de leur image de luxe et à contrebalancer la limitation de la concurrence inhérente aux systèmes de distribution sélective.

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(1) Règlement CE nO 279011999 de la Commission CE du 2211211999 concernant l'application de l'article 81, § 3 du traité à des catégories d'accords verticaux el de pratiques concernées.JOCEdu 29/12/1999, L336/21.
(2) J. J. Burst et R. Kovar, La dislribulion sélective et le droit communautaire de la concurrence, RTD com. 1978, p. 459; A. Oser, La distribution stlective en droit français et en droit communautaire, Gaz. Pal. 1977,2, docl. p. 5/8; M.-P. Piriou, La distribution sélective et les règles communautaires de la concurrence, RTD eur. 1978. p. 602 ; G. Canivet et L. Vogel, La distribution sélective des produits de marque dans la jurisprudencejudiciaire,D. 1991. chr. p. 283.
(3) Déc. n°75/73/CEE de la Commission, 13 déc. 1974, JOCE, 3février, 1975, n° L.29.
(4) CJCE, 21 déc.1976, aff 77/10, Junghans, JOCE, 2févr. 1977, n° L30.
(5) Déc. n°84/233/CEE de la Commission, 18 avr. 1984, IBM-computer, JOCE, 4 mai 1984, n° L 118.
(6) CJCE, 25 oct. 1977. Metro l, Rec. CJCE 1977. p. 1875; CJCE, 22 oct. 1986, aff. 75/84. Metro II Rec. CJCE, p. 3021.
(7) CJCE, 21 déc.1976,aff. 77/10,précité.
(8) CJCE, 22 oct. 1986, aff. 75/84, précité.
(9) CJCE, 11 déc. 1996, aff.31/80, Rec. CJCE,p. 3775.
(10) TPICE, 12 déc. 1996, aff. T-19-92, Yves Saint Laurent, et T-88/92, Givenchy, Rec. CJCE, Il, p. 1851 et s., Contrats, conc., consomm. 1997, n°1, p. 13, note L. Vogel.
(11) La distribution sélective des cosmétiques de luxe reconnue, Bull. act. Lamy, Déc. n° 92, févr. 1997.


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