La distribution sélective et la franchise




b) Le principe de proportionnalité: des critères en rapport avec le but poursuivi

Compte tenu de la nature spécifique des produits, la finalité d'un système de distribution sélective doit être « de garantir une vente dans de bonnes conditions au consommateur» (12).
On conçoit que, pour répondre à cette exigence, les critères de sélection puissent être très divers. Ils tiennent à la qualification professionnelle du distributeur et de son personnel (13), mais aussi à la qualité de ses installations (14), à ses références bancaires ou sa solvabilité (15), à ses heures d'ouverture (16) et à son «standing» (présentation« valorisante» des produits) (17).
Or, les critères de sélection des distributeurs ne doivent pas seulement être justifiés eu égard à la nature des produits concernés dans des conditions adéquates.

La question s'est notamment posée à propos des critères concernant la qualification professionnelle du personnel, la localisation et l'installation du point de vente et l'enseigne du détaillant.

- Sous réserve de l'appréciation in concreto par les juridictions nationales de leur bonne application, les critères concernant la qualification professionnelle du détaillant et/ou de son personnel sont validés sans difficulté.

- II est légitime, reconnaît le TPICE, d'exiger la présence dans les points de vente d'une personne capable de donner au consommateur des conseils ou des renseignements appropriés; le diplôme d'esthéticienne ou une expérience de 3 ans minimum ne sont pas considérés comme disproportionnés.

- Le TPICE se montre, en revanche, plus circonspect lors de l'appréciation des critères concernant la localisation et l'installation du point de vente :
• le critère d'environnement et de localisation du point de vente est admis lorsqu'il vise à assurer que des parfums et cosmétiques de luxe ne sont pas vendus dans des lieux totalement inadaptés;
• les critères concernant l'aspect extérieur du point de vente et, particulièrement, ceux relatifs aux vitrines, peuvent se prêter à une application discriminatoire à l'encontre d'un point de vente tel qu'un hypermarché; le TPICE, tout en considérant que des vitrines à l'extérieur n'apparaissent pas nécessaires pour la bonne présentation des produits lorsqu'ils sont vendus dans un espace ou un emplacement aménagé à l'intérieur d'un magasin multiproduits, constate qu'il suffira aux juridictions nationales de veiller à ce que les critères concernant l'aspect extérieur du point de vente, y compris ceux concernant les vitrines, ne soient pas appliqués d'une manière discriminatoire ou disproportionnée;
• concernant l'interdiction de vendre d'autres marchandises de nature à déprécier l'image de marque des produits de luxe, le TPICE admet qu'on puisse, compte tenu de leur aura de prestige et d'exclusivité, exiger que les parfums et cosmétiques de luxe, ne soient pas vendus à proximité de certains autres produits tels que les produits d'alimentation ou d'entretien, ou qu'il y ait une séparation adéquate d'avec ces produits véhiculant une image de qualité inférieure.

- Le TPICE valide le critère de l'enseigne en ce qu'il vise à assurer au fabricant la compatibilité de l'enseigne du détaillant avec les principes qui régissent la distribution des produits de luxe et de haute qualité.
Une enseigne dont l'image est associée à une restriction de décor et de services ne peut être compatible avec la distribution sélective de parfums et cosmétiques de luxe.
La perception de l'enseigne doit toutefois être" actuelle " et établie de manière objective à l'aide de sondages ou d'études de marché.

- La Commission a également admis que :
• l'aménagement intérieur du point de vente soit apprécié par le fabricant en fonction de la qualité fonctionnelle et esthétique du point de vente, de la qualité des revêtements, du mobilier, de l'éclairage, etc.,
• l’environnement de marques consistant en la présence de marques concurrentes suffisant à illustrer l'image et la notoriété des produits distribués puisse être requis par les fabricants; le respect de cette exigence contribue, en effet, à assurer une présentation valorisante des produits contractuels, tout en stimulant la concurrence « interbrand ».


c) Le principe de non-discrimination: l'application objective des critères de sélection à l'égard de tous les revendeurs potentiels

Les systèmes de distribution sélective constituent un élément de concurrence conforme à l'article 81, § 1du Traité pour autant que les critères de sélection soient appliqués de façon non discriminatoire à l'égard de tous les revendeurs potentiels (18).
Pas d'agrément discrétionnaire: tous les distributeurs répondant aux critères qualitatifs fixés par le fabricant et qui en font la demande doivent être agréés.

En distribution sélective, le fabricant choisit ses critères, pas ses distributeurs !

Dans ses arrêts du 12/12/1996, le TPICE a rappelé qu'un système de distribution sélective qui aurait pour conséquence d'exclure certaines formes de commerce capables de vendre des produits dans des conditions valorisantes, par exemple dans un emplacement ou un espace adapté, aurait pour seul effet de protéger les formes de commerces existantes de la concurrence des nouveaux opérateurs et ne serait, donc, pas conforme à l'article 81, § 1du Traité.

Trois critères ont à cet égard fait l'objet d'un examen minutieux de la part du TPICE :
• l'exigence relative aux vitrines extérieures (traitée supra b),
• l'importance des autres activités exercées dans le point de vente.
Le TPICE a estimé cette rubrique discriminatoire dans la mesure où elle tend à favoriser la candidature d'une parfumerie spécialisée au détriment de celle d'un magasin «multiproduits », quand bien même disposerait-il d'un emplacement spécialisé aménagé de manière à satisfaire aux conditions qualitatives appropriées pour la vente des parfums et cosmétiques de luxe,
• le critère de l'enseigne légitimé par le TPICE à la double condition qu'il ne soit pas interprété comme excluant des formes modernes de commerce fondées à leurs débuts sur une restriction de décor ou de services, d'où l'exigence d'une perception actuelle de l'image (19) de l'enseigne par le public et, d'autre part, qu'il ne soit pas utilisé à seule fin d'exclure des magasins capables d'offrir les produits à des prix réduits, mais dans des conditions valorisantes.



2) La sélection quantitative des distributeurs

Dans une acception extensive de la sélection quantitative, la jurisprudence a pu être amenée à considérer comme quantitatifs des critères qui ne font que concourir à la qualité de la distribution; tel est le cas des clauses d'assortiment de produits, de chiffre d'achats minimum ou de détention d'un stock minimal.
Toujours est-il que l'on distingue communément :
- la sélection quantitative directe qui limite le nombre de revendeurs en en fixant apriori un nombre maximum en fonction du potentiel commercial des zones de chalandise visées,
- la sélection quantitative indirecte qui, par le jeu de critères de sélection tels que le chiffre d'achats minimum, a pour effet de limiter le nombre de revendeurs.
Dès 1970, dans sa décision Omega (20), la Commission considère que la «fixation a priori d'un contingent maximum de revendeurs par ville ou par région» est susceptible d'affecter le commerce entre États membres dès lors qu'elle s'accompagne de l'interdiction de livrer à des distributeurs hors réseau.
Une telle restriction est de nature à produire des effets préjudiciables sur les courants d'échange et relève de l'article 81, § 1.
Ces pratiques ne peuvent donc être mises en œuvre que si elles réunissent les conditions fixées par l'article 81, § 3 pour bénéficier d'une exemption individuelle.

Si la Commission autorisa, pour une durée limitée, Omega à pratiquer une sélection quantitative a priori, cette autorisation ne fut pas renouvelée.
Pour les parfums et cosmétiques de luxe, la Commission dans ses décisions Yves Saint Laurent et Givenchy précitées, après avoir qualifié de quantitatifs des critères tels que le chiffre d'achats minimum, la clause d'assortiment minimal ou l'obligation de coopération publipromotionnelle et les avoir fait tomber sous le coup de l'article 81, § l, les a exemptés en application de l'article 81, § 3.
Le TPICE dans ses arrêts Galec du 1211211996 n'avait pas eu à se prononcer sur ces critères. Le Règlement 2790/1999 et ses lignes directrices scellent leur sort.
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(12) Déc. N° 76/159/CEE de la Commission, 15 déc. 1975, SABA, JOCE, 3févr. 1976, n° L28, p. 19, pt. 29.
(13) Déc. N° 85/616/CEE de la Commission, 16 déc. 1985, Villeroy et Bosch, JOCE, 31 déc. 1985,11° L376.
(14) Déc. N° 85/404/CEE de la Commission, 10 juill. 1985. système de distribution Grundig, JOCE, 30 août 1985, n° L233.
(15) Déc. N° 841233/CEE de la Commission. 18 avr. 1984, IBM, JOCE, 4 mai 1984, n° L.233
(16) CJCE, 11 oct. 1983, aff. 210/81, Société Demo-Studio Schmidt. Rec. CJCE, p.3045.
(17) Déc. N° 85/6 16/CEE de la Commission, 16 déc. 1985. précitée.
(18) TPICE, 12 déc. 1996. aff. T-19/92, Yves Saint Laurent et aff. T-88192, Givenchy, Rec. CJCE, II, p. 1851 et s., Contrats, conc., consom. 1997, n°1 p. 13, note L. Vogel.
(19) TPICE. 12 déc. 1996, aff. T-19/92 Cl T•88/92. préc.
(20) Déc. n° 70/488/CEE de la Commission, 28 oct 1970, Omega, JOCE, 5 nOV. 1970, n° L 242.


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