Guide pratique de la Loi Doubin, 1ere partie




Chapitre I. Les conditions d'application de l'obligation d'information (Qui doit discloser ?)

Deux séries de conditions président à la mise en œuvre de l'obligation précontractuelle d'information instaurée par l'article 1er de la loi Doubin.

Il convient donc d'examiner quelle est la délimitation du champ d'application de cette obligation (§ I) avant d'observer les conditions de forme et de délai prévues par la loi (§ II).

§I. Le champ d'application de l'obligation d'information
Le premier paragraphe de l'article 1er de la loi dispose:

« Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause. »

D'évidence, le législateur a entendu viser une catégorie de contrats extrêmement vaste. Il a voulu appréhender une réalité économique nouvelle, la prolifération des réseaux. Les termes employés par le législateur corroborent cette affirmation. En exemple, la notion de « mise à disposition» ne correspond à aucun concept juridique précis, ce qui est un facteur d'insécurité.

En effet, bien souvent présentée à tort dans la presse comme n'étant qu'une « loi sur la franchise », le champ d'application du texte est en réalité beaucoup plus large. Bien d'autres contrats seront concernés, dès lors que les conditions stipulées dans l'article 1er, alinéa 1er de la loi sont remplies, c'est-à-dire sous réserve d'un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de l'activité. Ce seront pour exemple les contrats de concession, de partenariat, les licences de marque assortis d'un approvisionnement quasi-exclusif, certaines coopératives, bon nombre de contrats regroupés sous la notion de commerce associés.

Deux caractéristiques principales peuvent être discernées dans les contrats visés par le législateur: il s'agit d'une part de la mise à la disposition d'une personne de signes de ralliement (I). et d'autre pan d'un engagement corrélatif de cette personne à une exclusivité ou une quasi-exclusivité (II).I. La mise à disposition de signes de ralliement
Le texte vise «toute personne ». II faut donc considérer que sont concernées les personnes physiques comme les personnes morales, les commerçants et les non-commerçants.

Pour exemple, une personne physique non commerçante, mais actionnaire majoritaire d'une société peut concéder une marque qu'elle possède à cette société. La première condition est ici remplie, mais encore faut-il que cette personne physique exige de la société un engagement d'exclusivité.

Comme il a déjà été indiqué, la notion de « mise à la disposition» ne répond à aucun concept juridique précis. Il s'agit davantage d'une réalité économique.

Il peut être considéré que  cette notion exclut la cession.

En effet, la mise à la disposition suppose un prolongement linéaire et ceci d'autant plus qu'en contrepartie est exigé un engagement d'exclusivité pour l'exercice de l'activité.

La licence ou concession de marque est l'exemple le plus topique de mise à la disposition. Mais le législateur a voulu éviter que des contrats échappent à l'obligation précontractuelle d'information, en prévoyant par exemple un prêt à usage de la marque ou mieux encore de la seule enseigne, en compensant l'absence de rémunération de l'usage de la marque par des redevances, représentant le paiement d'autres services, plus élevées.

En outre, cette notion peut recouvrer des hypothèses plus marginales comme l'usufruit, le mandat, si par exemple un agent commercial a l'obligation de faire usage de la marque du commettant dans l'exercice de son activité.

Il n'est pas nécessaire que la personne qui « met à la disposition » soit propriétaire du signe distinctif.

Le master franchisé français d'un franchiseur étranger qui accordera aux franchisés une sous-licence de la marque étrangère sera tenu de délivrer un document précontractuel d'information aux franchisés. De même, le franchiseur étranger devra remettre un document d'information à son master franchisé français.

Dès lors que le contrat doit recevoir l'application sur le territoire français, il faudra discloser.

Enfin, les signes de ralliement énumérés par la loi sont «un nom commercial, une marque ou une enseigne ».

On a pu s'interroger sur le caractère limitatif ou non de cette liste.

En réalité, cette énumération semble couvrir l'intégralité des situations dans lesquelles le consommateur s'adresse davantage au commerçant en raison du signe distinctif sous lequel il exploite, que pour d'autre raisons.

En effet, un consommateur qui va se restaurer dans un fastfood fait confiance à renseigne sous laquelle est exploité le restaurant. C'est du reste pour cette raison qu'après une première étape où l'on constatait une profusion d'enseignes de restauration rapide, on observe à l'heure actuelle un regroupement de ces restaurants sous un nombre d'enseignes beaucoup plus limité.

On peut parler à ce titre d'une homogénéisation des modes de consommation.

Les logos sont directement visés par le texte puisque la définition légale du logo est d'être une marque figurative.

En réalité, la liste paraît être limitative, mais elle rassemble à notre sens tous les cas de figure. Cette définition est similaire bien que plus large à celle donnée dans le règlement d'exemption de la Commission de la communauté économique européenne du 30 novembre 1988 relatif à des catégories d'accords de franchise qui prévoit « l'utilisation d'un nom ou d'une enseigne communs ».



II. L'engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité

Les conventions visées par la loi, pour emporter une obligation de divulgation préalable, doivent contenir un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour celui au bénéfice duquel le nom commercial, la marque ou l'enseigne est mise à disposition.

L'exclusivité se définit à la fois de manière positive et négative. Une personne s'engage à n'effectuer un type de prestation déterminé que dans, le cadre de la même convention. Cette personne s'interdit donc de signer d'autres conventions se rapportant au même objet.

Il ressort du texte comme des travaux parlementaires que l'exclusivité visée est essentiellement une exclusivité d'approvisionnement.

Ainsi, la loi Doubin s’inscrit-elle dans un mouvement de défiance vis-à-vis des exclusivités d'approvisionnement en exigeant que le débiteur d’une telle obligation, qui se trouve selon la jurisprudence dans une situation de dépendance économique, puisse s'engager en connaissance de cause.

L'exclusivité territoriale ou de fourniture qui bénéficient à la partie supposée être la plus faible, et qui sont souvent la contrepartie de l'exclusivité d'approvisionnement, ne rentrent pas dans le champ d'application de la loi.

La notion de quasi-exclusivité est plus complexe.

Il s'agit toujours de prendre en considération l'approvisionnement, mais à partir de quand peut-on dire qu'il y a quasi exclusivité d'approvisionnement?

Ici encore, le législateur a voulu approcher au plus près la réalité économique sans avoir cure des concepts juridiques.

Une référence peut cependant être prise en compte, c'est l'article L. 781-1 du Code du travail reprenant la loi du 21 mars 1941.

Cette disposition du Code du travail octroie la qualité de salarié aux personnes « dont la profession consiste essentiellement (...) à vendre des marchandises ou denrées de toute nature (...) qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale (...) ».

L'analyse faite par la jurisprudence de cette disposition peut aider l'interprète à cerner la notion de quasi-exclusivité. En effet, l'article L. 781-1 du Code du travail se rapporte bien aux personnes soumises à un approvisionnement exclusif ou presque exclusif.

La Cour de cassation a estimé qu'il appartenait aux juges du fond d’apprécier souverainement à partir de quel seuil, il pouvait être considéré qu'une personne s'approvisionne "presque exclusivement" auprès d'une seule entreprise industrielle ou commerciale.

Les juges du fond, dont il est difficile de rassembler les décisions pour formuler un ou plusieurs critère(s) homogène(s), ont eu à statuer notamment à l'égard des gérants libres de station-service.

On sait en effet qu'ils s'approvisionnent en ce qui concerne une certaine catégorie de produits, exclusivement auprès d'une même compagnie pétrolière. La Cour d'appel de Paris a, dans une espèce, raisonné en  terme de marge.

Il a été observé que le pompiste réalisait approximativement 40% de sa marge sur des produits autres que ceux fournis par la compagnie pétrolière. En conséquence, la Cour d'appel de Paris a jugé qu'il n'y avait pas quasi-exclusivité.

Parfois, la jurisprudence se contente d'apprécier dans quelle proportion le fonds de commerce est affecté aux produits concernés. Il a ainsi été jugé que lorsque le fonds de commerce est affecté pour un tiers à la vente de produits autres que ceux du même fournisseur, il n'y avait pas quasi exclusivité.

Cette jurisprudence doit toutefois être regardée avec prudence puisque la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre une décision qui considérait qu'était remplie la condition relative à la quasi-exclusivité lorsque les deux tiers de l'activité étaient affectés à la vente des produits du fournisseur.

Cette jurisprudence est particulièrement intéressante pour l'étude de l’application éventuelle de la loi Doubin aux franchises-corner.

A partir de quelle proportion l'affectation du fonds de commerce à la vente des produits du franchiseur entraînerait-elle l'obligation de divulgation ?

On peut penser que cette obligation d'information, qui a une vocation protectrice de la partie supposée la plus faible et qui n'a pas pour effet, comme c'est le cas de l'article L. 781-1 du Code du travail, d'emporter un véritable changement de statut de la personne concernée, recevra un champ d'application plus vaste.

L'affectation du quart du fonds de commerce à la vente de produits provenant du même fournisseur pourrait être considérée comme représentant une quasi-exclusivité entraînant l'obligation de divulgation; mais ce n'est qu'une hypothèse. Il est en tout état de cause préférable pour les opérateurs potentiellement tenus à une obligation d'information précontractuelle d'avoir soin de prévenir toute difficulté par la remise d'un document d'information. Après avoir étudié le champ d'application de l'obligation d'information, il convient d'examiner les conditions de son exécution.

§ II. Les conditions d'exécution de l'obligation d'information

Les conditions d'exécution de l'obligation d'information peuvent être examinées au travers des conditions de forme (I) et des conditions de délai (II).I. Conditions de formeLe premier paragraphe de l'article 1er de la loi Doubin fait mention de la remise d’un « document ». Il s’agit donc d'un écrit, et ceci d'autant plus que le paragraphe 2 du même article en précise le contenu.

Il est accompagné du « projet de contrat» dont il est évident qu'il ne doit pas recevoir de modifications significatives unilatérales par le disclosant au jour de la signature du contrat définitif.

Il est impératif d'établir un document d'information clair et explicite et il est renvoyé dans cette optique au chapitre II du présent guide.

En outre, il est vivement recommandé aux disclosants d'établir chaque Disclosure en deux exemplaires.

En effet, afin de conserver la preuve de ce que le disclosé a bien pris connaissance de la Disclosure, il convient d'en conserver un exemplaire daté, signé et dans lequel chaque page est dûment paraphée par les parties.

De plus, les informations communiquées au disclosé étant souvent confidentielles, il est conseillé à tout disclosant de prévoir une obligation de confidentialité à la charge du disclosé, garantissant le respect par ce dernier d'une obligation de secret quant aux informations transmises et contenues tant dans la Disclosure que dans le projet de contrat devant l'accompagner.

Une dernière convention spécifique est à prévoir dans l'hypothèse d'un versement d'une somme d'argent par le disclosé préalablement à la signature du contrat. Le troisième paragraphe de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 dispose en effet que devront être précisées par écrit

«Les prestations assurées en contrepartie de cette somme (...) ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit ». Il conviendra notamment de préciser quelles sont les conditions de restitution de la somme d'argent ainsi versée.

Il s'agira donc le plus souvent d'une convention de réservation qu'il faudra adjoindre ou faire suivre à la remise du document d'information et du projet de contrat.II. Délais dans lesquels l'obligation d'information doit être réaliséeLe quatrième alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 prévoit que «  le document prévu (...) ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours avant la signature du contrat ou le cas échéant avant le versement de la somme mentionnée à l’alinéa précédent ».

Cette disposition, rapprochée de l'alinéa précédent, laisse entrevoir que, 20 jours avant le versement d'une somme d'argent, ne sont exigées que les remises du document d'information et du projet de contrat; la convention spécifique qui accompagne le versement d'une somme d'argent peut n'intervenir que le jour de ce versement.

Comme il sera dit dans le chapitre III du présent guide, le moindre retard dans la remise des documents peut être répréhensible.

La loi ne fait pas de distinction en cas de renouvellement de contrat. Cependant, la remise des documents doit précéder la signature d'un contrat ou le versement d'une somme.

En conséquence, 20 jours avant l'expiration du contrat en cours, le disclosant devra remettre au disclosé le projet du nouveau contrat ainsi que la Disclosure dans sa dernière mouture.

Dans l'hypothèse d'un renouvellement du contrat en cours par tacite reconduction, la remise des documents ne semble pas nécessaire, car il n'y a pas de signature de contrat.

En conclusion de ce premier chapitre, il convient de faire une place à part à la formule qui, déjà, a fait couler beaucoup d'encre et qui figure dans le premier paragraphe de l'article commenté: c'est celle de «contrat conclu dans l'intérêt  commun des parties ».

D'aucuns ont pu croire qu'il était ici fait référence à la notion jurisprudentielle puis légale de mandat d'intérêt commun qui a permis aux agents commerciaux d'obtenir une indemnité de clientèle lors de la rupture des relations contractuelles.

M. Doubin a cependant précisé lors des débats parlementaires qu'il n'existait pas de relation avec « l'automaticité d'une quelconque indemnisation ».

Si tous les contrats sont supposés emporter des intérêts réciproques, il est possible d'interpréter la notion d'intérêt commun en constatant que dans les contrats de distribution exclusive assortis d'une licence de marque, la prospérité de l'un accroît la renommée de l'autre et inversement. Dans un contrat de vente au contraire, une partie a intérêt à vendre plus cher tandis que l'autre cherche à obtenir une diminution de prix.

C'est ce qui peut expliquer la différence entre les intérêts réciproques et un intérêt commun.

Il ne semble donc pas à priori que le concédant de marque qui exige de son cocontractant un engagement d'exclusivité -ou de quasi-exclusivité ait à craindre d'avoir à indemniser systématiquement ce dernier dans le cadre de la rupture des relations contractuelles.


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