L'affaire Pronuptia ou le monde de la franchise soulagé




2. les clauses du contrat de franchise de distribution authentifiées par la C.J.C.E.

Tout d’abord par prudence la Cour reconnait la grande diversité des contrats de franchise. Elle distingue notamment les contrats de franchise de distribution, des contrats de franchise de service, des contrats de franchise de production (franchise industrielle).
La C.J.C.E. souligne expressément que l'arrêt rendu par elle n'est pas un arrêt de principe, mais un cas d'espèce. «  La Cour ne se prononcera que sur le contrat de franchise de distribution auquel se rapporte expressément la question de la juridiction nationale ».

b) En ce qui concerne la compatibilité des contrats de franchise de distribution de l’article 85 paragraphe 1er du traité de Rome, elle ne peut-être appréciée qu’in concreto et non in abstracto.
…« ne peut-être appréciée de façon abstraite mais qu’elle est fonction des causes contenues dans ces contrats »
La C.J.C.E. limite encore plus la portée de son arrêt sur les contrats qui ont un contenu tel que celui du contrat de franchise Pronuptia.
Mais malgré la prudence de la C.J.C.E. certains principes dégagés par elle ne pourront pas ne pas avoir de portée jurisprudentielle sur  la totalité des contrats de franchises.



A. Les clauses caractérisant la franchise et authentifiées par la C.J.C.E.

1.    La reconnaissance du concept de know-how (savoir-faire)

La C.J.C.E.définit ainsi le contrat de franchise de distribution

« Dans un système de franchises de distribution tel que celui-là, une entreprise,  qui s’est installée dans un marché comme distributeur et qui a ainsi  pu mettre au point un ensemble de méthodes commerciales, accorde, moyennant rémunération à des commerçants indépendants, la possibilité de s'établir dans d'autres marchés en utilisant son enseigne et les méthodes commerciales qui ont fait son succès. Plutôt que d'un mode de distribution, il s'agit d'une manière d'exploiter financièrement, sans engager de capitaux propres, un ensemble de connaissances ».
« Ce système ouvre par ailleurs â des commerçants, dépourvus de l'expérience nécessaire, l'accès à des méthodes qu’ils n’auraient pu acquérir qu’après de longs efforts de recherche et les fait profiter de la réputation du signe. Les contrats de franchise de distribution se différencient en cela des contrats de concession de vente ou de ceux liant des revendeurs agrées dans un système de distribution sélective qui ne comportent ni utilisation d’une même enseigne, ni application de méthodes commerciales uniformes, ni paiement de redevances en contrepartie des avantages consentis. Un tel système, qui permet au franchiseur de tirer parti de sa réussite, ne porte pas atteinte en soi à la concurrence. Pour qu'il puisse fonctionner, une double condition doit être remplie ».

La C.J.C.E. tire très justement les conséquences du principe de transmission de know•how du franchiseur à ses franchisé

a)    Le franchiseur doit pouvoir communiquer son savoir-faire et apporter l'assistance voulue pour permettre au franchisé d'appliquer les méthodes sans risquer que ce savoir-faire profite à la concurrence.
Donc d'après la C.J.C E. :
-    Les clauses du secret de non concurrence (pendant la durée du contrat et après sa rupture, pendant un délai raisonnable), sont valables.
-    Les clauses d’agrément relatives au caractère intuiti personae du contrat de franchise sont valables.

b)     Le franchiseur est en droit de pouvoir préserver l’identité et la réputation du réseau et son image de marque.
En conséquence dit la Cour « Les clauses qui organisent le contrôle indispensable à cette fin, ne   constituent pas non plus des restrictions de la concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1er ».

c)    Les clauses tendant à faire respecter par la franchise les méthodes commerciales et les qualités standards du système, ou package sont valables également.

d)    L’aménagement intérieur et extérieur des points de ventes types.

La C.J C E n'a pas suivi les conclusions de la Commission de Bruxelles. Heureusement, c’est précisément ce point qui  avait mis en émoi - à juste titre - le monde de la franchise internationale.
La Cour reconnaît que le principe de standardisation de l'image de marque d'une chaine est essentiel au système du franchisage.

Voici ce que dit la C.J.C.E. :
« L’obligation du franchisé de ne vendre les marchandises visées au contrat que dans un local aménagé et décoré selon les instructions du franchiseur, laquelle a pour objet de garantir une présentation uniforme répondant à certaines exigences, ne constituent pas non plus des restrictions de la concurrence au sens de l’article 85 paragraphe 1er ».

e)    La C.J.C.E. reconnaît « le droit au franchiseur de choisir librement les franchisés dont les qualifications professionnelles sont une condition pour établir et préserver la réputation du réseau.
A mon sens la portée de ce paragraphe de l’arrêt revêt une importance considérable et aura une portée de principe.
En effet, on se rappellera du rapport de la commission Olivier constitué à la demande des pouvoirs publics français en 1983 – 1984 et qui sur ce point influencé par certains juristes issus de la concession commerciale avait tenté d’assimiler une certaine jurisprudence qui tendait à assimiler le refus de concession ou de franchise à un candidat prospect au refus de vente, réglé par l’ordonnance de 1945.

Voici une clarification magistrale des juges européens
f)    Les clauses d’approvisionnement exclusif
Les clauses d’approvisionnement exclusif auprès du franchiseur ou auprès de fournisseurs agrées sont réputées valables et également fondées, dit la C.J.C.E. sur la « nécessaire protection de la réputation du réseau ».

g)    La publicité nationale imposée au franchisé
La C.J.C.E. a jugé que la clause qui subordonne toute publicité du franchisé à l’assentiment du franchiseur est également indispensable à la préservation de l’identité du réseau.



B. Les clauses sanctionnées par la C.J.C.E.

La Cour européenne considère que certaines clauses ne sont pas nécessaires à la protection du savoir-faire transmis ou à la préservation de l’identité du réseau ou de son image de marque.
Comme par exemple, les clauses qui réalisent un partage des marchés entre franchiseur et franchisés ou entre franchisés ou qui empêchent ceux-ci de se livrer à une concurrence de prix entre eux.
Voici ce que dit la Cour à ce propos
«  Il importe, à cet égard, d’attirer l’attention de la juridiction nationale sur la clause qui oblige le franchisé à ne vendre les marchandises visées au contrat qu'à partir du local désigné dans celui-ci. Cette clause interdit au franchisé d'ouvrir un second magasin. Sa portée réelle apparaît si on la met en relation avec l’engagement que prend le franchiseur à l’égard du franchisé d'assurer à celui-ci, dans un certain territoire, l'exclusivité de l'utilisation du signe concédé. Pour respecter la promesse faite ainsi à un franchisé, le franchiseur doit non seulement s’obliger à ne pas s'établir lui-même dans ce territoire mais encore exiger des autres franchises l’engagement de ne pas ouvrir un autre magasin en dehors du leur.
La juxtaposition de clauses de ce type aboutit à un certain  partage de marchés entre le franchiseur et les franchisés ou entre les franchisés et restreint ainsi la concurrence à l’intérieur du réseau. Ainsi qu'il résulte de l’arrêt du 13 juillet 1966 (Consten et Grunding c Commission, 56 et 58 64. Rec p. 429), ce type de restriction constitue une limitation de concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1er, dès lors qu’il concerne un signe déjà répandu. Il est certes possible qu'un candidat franchisé ne prendrait pas le risque de s’intégrer à la chaine en procédant à un investissement propre, en payant un droit d'entrée relativement élevé et en s'engageant a acquitter une redevance annuelle importante, s'il ne pouvait, grâce à une certaine protection contre la concurrence du franchiseur et d’autres franchisés, espérer que son commerce puisse être rentable. Cette considération ne peut toutefois jouer que dans le cadre de l'examen éventuel de l'accord au regard des conditions de l’article 85, paragraphe 3 ».


1-    Clauses d’exclusivité territoriale

Ce sont des clauses d'exclusivité territoriale qui semblent donc remises en cause par le juge européen.
Cependant la Cour semble limiter la portée de cette restriction « au signe déjà très répandu ».
Il  semblerait qu'elle considère que constitue une limitation de concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1er, dès lors que cela concerne une marque notoire.
a)     Si on raisonne à contrario, on peut penser que les marques pas encore notoires, peuvent posséder des contrats de franchise avec des clauses d'exclusivité territoriale.

b)     Mais la Cour reconnaît le fondement de la clause d'exclusivité territoriale - comme élément protégeant le franchisé contre une concurrence sauvage du franchiseur ou d'un autre franchisé dans sa propre exclusivité – et elle conseille indirectement les franchises de distribution possédant une marque notoire de notifier leur contrat auprès de la commission de la concurrence à Bruxelles, pour demander une exemption individuelle telle que prévue par l’article 85, paragraphe 3.

c)    En ce qui concerne les clauses qui réalisent des partages des marchés, sont susceptibles, dit encore la Cour, et c'est important, d'affecter le commerce entre Etats membres, même s'ils sont conclus entre entreprises établies dans le même Etat membre, dans la mesure ou ils empêchent les franchises à s'établir dans un autre Etat membre.


2-    Clause de prix conseillé

La C.J.C.E. juge que le franchiseur a le droit de communiquer aux franchisés des prix indicatifs à la condition toutefois, qu'il n'y ai pas entre le franchiseur et les franchisés ou entre les franchisés entre eux de pratique concertée en vue de l'application effective de ces prix.
Cette restriction ne gênera pas le franchiseur français qui est déjà habitué à ne donner que des prix conseillés ou indicatifs.
Les franchisés sont du reste généralement très demandeurs de ces tarifs indicatifs car cela permet de les aider à calculer leur marge.



C. Le règlement 67/67

Enfin, la C.J.C.E. a précisé que le règlement 67/67 qui prévoit l'exclusion par catégorie n'est pas applicable au contrat de franchise de distribution.
En conclusion, la Cour européenne juge que la compatibilité des contrats de franchise de distribution avec l'article 85 paragraphe 1er  est fonction des clauses que contiennent ces contrats et du contexte économique dans lequel ils s’insèrent.
Cette déclaration de principe permet donc à la pratique de continuer son œuvre de création et d'imagination dans le domaine de la franch.ise.
La seule restriction – somme toute très favorable au franchiseur - est la possibilité de voir la clause d'exclusivité territoriale illégale, dans certains cas.
Bien sûr, d'un point de vue critique, les juges européens sont loin d'avoir donné des réponses à toutes  les questions.
On peut par exemple se demander si la clause d'exclusivité territoriale serait constitutive d’une restriction de la concurrence en réalisant des partages des marchés dans le cadre des contrats de franchise de service ?
On comprend qu’il faille réguler la libre concurrence dans les pays membres de la C.E E pour les produits, des marchandises.
Mais le know-how est le fruit de l’imagination. Et l'imagination, à l’inverse des marchandises est illimitée.
On ne peut réfléchir de la même manière sur les règles de concurrence en matière de prestation de services et de know-how, que le traité de Rome l’a fait sur les biens de consommation.
En voyant l affirmation exprimée par la Cour sur la reconnaissance des clauses essentielles du contrat de franchise, elle a exprimé d’une manière quasi symbolique - et les restrictions de forme qu’elle impose à la portée de sa décision en ne la limitant qu'au contrat de franchise Pronuptia, peut-on envisager le fait qu'elle a exclu de l'article 85 les clauses qui sont indispensables à la protection du savoir-faire et à son contrôle et que les contrats de franchise de service échappent complètement à l’article 85.
En tout cas, pour la première fois une jurisprudence européenne essaie de définir le terme savoir-faire (know-how) et tente par là de combler un manque important dans le texte du traité de Rome.
Mais bien entendu, il faudra que la jurisprudence européenne s'affine pour contourner d'une manière plus précise les aspects du transfert de savoir-faire.
Les juges européens ont ainsi posé la première pierre de l'édifice du droit européen de la franchise.
Ils sont restés très ouverts, très positifs et très intelligents.
Certes, le contrat de franchise de distribution a alourdi du poids du droit européen se superpose au droit national, mais au fond l'Europe n’est-elle pas en marche !

Olivier GAST
Avocat à la Cour de Paris,
Président de l’université européenne de la franchise,
Président de la commission franchising de l’Union internationale des avocats.
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